[Interview] Creestal - Mise au clair

Chose promise, chose due, chers lecteurs. Creestal, beatmaker marseillais membre du groupe Karkan, actuellement au centre du projet Beat & Discovery, a très gentiment accepté de jouer le jeu de l'interview à l'occasion de la sortie de son premier LP, Beat' Em All.


StereoTree: Salut Creestal, je vais d’abord te demander de te présenter pour ceux qui ne te connaissent pas, tes influences, ton parcours.

Creestal: Creestal, DJ/Producteur, officiant pour le groupe Karkan (Gil, Ysae) depuis 98. J’ai commencé le hip hop via le graffiti 92/93, première loop avec des k7 audio quelques années plus tard, fasciné par le groove, les platines vynils s’imposent naturellement.
Attiré par le scratch alors que la plupart choisissent de check le mic, les cuts de DJ Muggs, Pete Rock ou DJ Premier m’interpellent, me font tourner la tête et me contraignent à abandonner poska, feutre ou peinture, dans l’optique de faire de la prod. En 96 j'acquière mon premier sampler Roland DJ 70. Un premier groupe avec des potes, puis un 2ème: Karkan.
Cette culture est fortement encrée en moi, le dessin, le graffiti, le son ; c'était et c'est toujours quelque chose de très fusionnel dans mon apprentissage, je ne sais pas vraiment jouer d'un instrument de musique "conventionnel", je ne sais ni lire ni écrire la musique, je suis un autodidacte et cette envie de créer m’a toujours habité.
C’est suite à un atelier sampling animé par Imhotep (Iam) où j’ai vraiment pris conscience des larges possibilités qu’offraient le sampling pour créer de la musique de manière peu conventionnelle. Je décide alors de passer de la création graphique à la création audio tout en étudiant les arts appliqués durant ma scolarité, entre 97/99. Après un maxi et un album avec Karkan, je sors avec Just Like et le soutien de mon label ApoG Fonik mon premier album solo "Beat’Em All".

StereoTree: Ton album est uniquement instrumental (mis à part une chanson), pourquoi ce choix?

Creestal: Ce choix s’est imposé à moi, Just Like m’a contacté via MySpace, ils appréciaient mon travail et m’ont fait confiance. C’est une très bonne initiative de leur part, une trentaine de beat assez courts à la manière de "Donuts" de Jay Dee ou "Movie Scene" de Madlib. Cet album n’était pas prémédité et j’ai pris cette proposition comme un challenge, car mon travail en temps que DJ jusqu’à ce jour était de produire pour des MC's.

StereoTree: Est-ce que d’une certaine manière, sortir un album instrumentale aujourd’hui est une prise de risque moindre compte tenu de la situation actuelle de l’industrie du disque en France, notamment en matière de Hip Hop?

Creestal: Oui dans le sens où l’album Instrumental (français) sera plus aisément exportable vers l’étranger et par conséquent plus rentable. En tout cas la barrière de la langue n’a aucun effet et il est vrai que le marché du rap en France prend un chemin assez inattendu (rap comique) en terme de succès commercial, disons que le marché est saturé, et que la musique ne se consomme plus de la même manière avec le net etc...
On est loin des années 98/2000, mais la qualité n’en est pas moins affectée, bien au contraire, et des signatures en major d’un rap peu connu du grand public se font aujourd’hui notamment avec Hocus Pocus, ce qui est positif et optimiste pour la scène hip hop qui a du mal à trouver une exposition digne. Dans un autre sens, un album instrumental Français présente quand même une prise de risque puisque jamais vu à ce jour, les oreilles et les mentalités ont certes évoluer et je suis fier de notre petite scène française qui se démène pour être le juste reflet de ce foutu bon hip hop! (rires)
Il est vrai que c’est un combat de tous les jours et que nous devons avancer main dans la main (artiste, médias, public) afin de faire évoluer notre musique. Je crois que le fait de sortir un disque est en soit une prise de risque, bien plus s’il n’y a pas de chanteur ni rappeur ou encore moins de featuring (susceptible de faire vendre un disque), c’est un format assez atypique, les titres de Beat'Em All se succèdent et ne dépassent pas parfois 1m30s, le public doit se montrer curieux et ouvert, et ne pas voir le son français de manière péjorative, il faut nous donner notre chance pour pérenniser notre culture.

StereoTree: On sent que tu restes dans une certaine couleur sonore, comptes tu explorer des univers différents à l'avenir?

Creestal: Cet album est une commande même si j’avais carte blanche. Néanmoins, il reste ce que je sais faire le mieux, c’est-à-dire des beats strictement hip hop colorés de soul, de funk etc. Pour un second projet, je tâcherai de ne pas me répéter cela va de soi pour mon propre intérêt et celui des autres. D’autres univers m’attirent même s’ils gravitent très souvent autour du hip hop. Je fonctionne à l’humeur, demain je ne sais pas dans quel délire je serai pour dire quelle direction je devrais prendre dans l’avenir. C’est sûr ce sera plus dans la compo, du moins trouver une complémentarité entre sample et compo.

StereoTree: Toi et Phohat êtes au cœur d’une initiative musicale très intéressante, Beat&Discovery. Peux tu nous en parler un peu, comment t’a-t'on contacté etc...?

Creestal: Beat & Discovery est une initiative de Just Like Hip Hop qui met en oeuvre les moyens nécessaires pour promouvoir dans de bonnes conditions une série d’albums instrumentaux permettant à des artistes français restés dans l'ombre de s'exprimer librement dans la ligne des séries BBe. Le 1er de la série à voir le jour, et qui m'a précédé, fut Phohat.
Je pense qu'en France, peu de labels prennent le risque de développer ce genre de projet. Le contact s’est fait via MySpace, et les choses se sont vite enchainées.

StereoTree: Comment définirais tu la scène Hip Hop française actuelle, as-tu l’impression qu’une nouvelle mouvance fait son apparition depuis 1 ou 2 ans?

Creestal: La scène hip hop française est en très bonne santé, elle a du mal à exister médiatiquement, mais elle est bien présente. La France connaît un regain d'attention concernant les beatmakers, il y a une évolution remarquable, ça reste minoritaire mais dans l'ensemble c'est positif pour notre musique. La France a une marque et un écho planétaire dans la musique électro, j’espère que l'on connaîtra ça dans le hip hop instrumental même si notre musique est moins destinée au dancefloor, elle reste universelle et notre génération se doit de la sauvegarder. Espérons juste que ce regain d’intérêt perdure, pour cela nous devons tous travailler chacun dans son domaine et défendre notre pain.

StereoTree: As tu, à l’inverse de « Beat’Em All », des projets avec des MC's ou des chanteurs, et quels sont par conséquents tes prochains projets?

Creestal : Oui sûr, le 2ème album de mon groupe Karkan, le solo de Ysaé (Karkan) en cours de réalisation, la mixtape de Gil (Karkan), des featuring, des collaborations, des apparitions .... beaucoup de choses !!!

Interview réalisée par OneLighT